Notre amour est indestructible

Depuis l’ouverture de ce stupide zoo robotisé par ce stupide Grégory Theïrin, ma charge de travail avait été multipliée par mille. Le Gouverneur de l’Etat ne me lâchait plus, le Secrétaire à la Défense exigeait de lui des comptes et le Président de la République en personne exigeait que toute la lumière soit faite sur cette histoire et sur les mystérieux individus masqués qui avaient joué les troubles fête. De fait mon téléphone sonnait sans arrêt et j’avais l’impression de faire partie de la grande famille des forces de l’ordre tant je n’avais plus affaire qu’à eux....

Dieu seul sait que j’avais d’autres préoccupations nettement plus importantes à gérer que de m’occuper de cette sordide affaire, certes tout à fait désolante mais qui aurait du, si ces braves malfaiteurs avait eu un minimum de bon sens, se terminer avec la mort de Grégory. Et non pas seulement avec un misérable bras en moins ! Les malfrats devenaient de plus en plus décevants, malheureusement. Et moi j’allais comme toujours devoir me retrousser les manches pour que le travail soit fait.

Bien évidemment je ne m’étais pas rendu à cette inauguration. Principalement parce que j’avais d’autres chats à fouetter mais surtout car je ne supportais pas le déballage puéril de Greg envers ma fille. Toutes ces simagrées et ces mises en scènes me hérissait le poil et je ne pouvais tolérer de les voir se donner ainsi en spectacle. Les images de ma petite princesse au bras de ce playboy me donnait la nausée. Cela ne pouvait continuer ainsi, et je n’allais pas cautionner cette relation en me rendant comme un brave toutou à un nouveau sacre de l’égo surdimensionné de celui que j’ai un jour considéré comme mon ami.

Alors j’ai suivi tout ça de loin et mon coeur a manqué un battement quand j’ai su que ma petite fille avait pris une balle dans la poitrine. Je savais qu’il en fallait plus pour la tuer, elle était un androïde après tout, mais mon coeur de père ne supportait pas l’idée qu’on ait pu lui faire du mal et ces fils de chacals allaient payer pour cet affront. En revanche, concernant le bras de Grégory j’étais un peu moins prompt à exiger de la Justice une réponse rapide à ses blessures…

Après plusieurs jours à ne pouvoir quitter le bureau que quelques heures durant la nuit pour me reposer, j’ai enfin réussi à libérer une demie journée pour aller voir mon vieil ami à l’hôpital, sous le couvert d’un petit interrogatoire bien entendu. J’avais pris soin de contacter l'hôpital évidemment, je n'allais pas me présenter là-bas à l'improviste. On m’avait annoncé que Monsieur Theïrin était tout à fait en état d’être entendu par mes services et que malgré ses blessures il avait eu encore suffisamment d’énergie pour exiger que le service de garde soit renvoyé et pour limiter ses contacts avec les infirmières au strict minimum, ce qui nous n’allons pas nous mentir m’arrangeait au plus haut point.

Après tout un homme comme lui avait toutes les raisons d’en finir avec la vie. Il était au coeur de tellement de scandales… Le dernier en date était bien le pire de tous et qui sait si un jour il arriverait à se relever d’une telle horreur. Personne ne serait surpris qu’un homme comme lui mette fin à ses jours. Et moi je pourrais être le dernier à l’avoir vu, l’ami proche qui aveuglé par son travail n’avait su déceler la détresse de son frère… Quel tristesse, la presse en ferait ses chou gras… Le crime parfait. J’avais bien envisagé de lui servir un verre de la paix agrémenté de ricine, mais c’était lui offrir une mort trop douce.

Sur le chemin de l’hôpital, je réfléchissais à la meilleure méthode pour le tuer sans que cela ne me tombe dessus. Mais il était encore trop tôt, son empire tenais encore debout et je voulais lui prendre absolument tout, comme il l’avait fait avec moi avant de lui ôter la vie…. Arrivé sur place j’ai été escorté par un androïde que j’ai suivi silencieusement. Devant la porte j’ai congédié le robot avant de prendre une grande inspiration. Je n’avais pas vu Gregory depuis sa grande révélation et j’avais des doutes sur ma capacité à garder mon calme.

J’étais mentalement préparé à beaucoup de chose en ouvrant cette porte, mais certainement pas à trouver ma petite fille à cheval sur ce porc, une main dans son pantalon en train de faire des choses dont mes yeux de père n’auraient jamais dû être témoins. Je me suis bruyamment racler la gorge en respirant lentement pour ne pas me jeter sur eux et roué ce traître de coup… Il m’a fallu déployer toutes  mes ressources pour ne pas créer d’esclandre ni lui tirer une balle de mon précieux révolver toujours caché dans ma poche intérieure dans la tête, je le suis contenté de dire.

“Je vous prie de bien vouloir m’épargner de telles démonstrations, ceci n’est ni le lieu ni le moment. De plus si vous souhaitez vraiment ma mort, je vous remercie de bien vouloir m’achever de toute urgence, la convention des droits de l’Homme interdit la torture il me semble !”

La panique du lapin pris dans les phares d’une voiture. Voilà le spectacle auquel je me trouvais contraint d’assister. J’en levais les yeux aux ciel de dépit. Je savais à quel point Gregory pouvait se montrer puéril et inconstant. Il se fichait du regard des autres et n’avait pas été élevé dans la sacro sainte rigueur de l’élite New-yorkaise, et si parfois ses attitudes de nouveau riche flambeur m’as tu vu m’amusais il y avait des lustres sur je ne ressentais plus que de l’agacement face à lui.

Ils se tenaient la face à moi raide comme la Justice tous deux dans des positions bien différentes. Ma belle Alice se tenait droite bien décidée a afficher sa colère et son ressentiment. Son attitude était glaciale mais ses yeux lançaient des milliers d’éclairs prêts à me détruire comme si son seul souhait était de me faire disparaître, moi son père, le premier homme de sa vie, de la surface de la terre.

Greg quant à lui il était dans une position bizarre entre l’inconfort et la soumission. Il était clairement mal à l’aise comme s’il était un adolescent en chaleur surpris par son père avec un magazine de charme à la main. Et clairement il avait toujours été cet adolescent trop obsédé par son envie de plaire et moi un père de substitution cherchant à le remettre sur la bonne voie. Mais bizarrement ses yeux étaient suppliant comme s’il attendait quelque chose de moi. Tout ceci était parfaitement étrange.

“Walter... Est-ce que... Tu vas bien ?”

Sa question ne manqua pas de me surprendre… comment pouvait-il se montrer si… Niais ? Avais-je envie de bavarder avec lui autour d’une tasse de thé ? Non pas le moins du monde. Je voulais le voir souffrir. Et lui a quoi s’attendait-il ? A ce qu’on se tombe dans les bras comme de vieux frères ne pouvant rester fâchés trop longtemps ? Si tel était le cas il ne me connaissait décidément que trop mal.

”Qu'est-ce que tu veux ?”


Cette phrase sonna comme un coup de fouet à mes oreilles. Tranchante et glaciale les négociations allaient être tendues entre la fille et moi pour arriver à une paix. La voir prendre le parti de ce cafard me mettait hors de moi et j’avais une furieuse envie de sortir mon revolver et de faire ce que je n’avais pas eu le courage de faire la dernière fois. Faire exploser la boîte crânienne de ce traître arrogant. Mais il me fallait rester calme. Le jeu n’en valait pas la chandelle.

”Ce sera Monsieur Caulfield ou Monsieur le Procureur je vous prie. Je suis en visite officielle et non la par courtoisie ou bonté d’âme.”

Je prenais une grande respiration et évitait par dessus tout de croiser le regard d’Alice. Je ne l’aurais pas supporté. Il fallait créer une distance n’être plus que le procureur et non pas l’homme blessé. Je me maudissais de ne pas être allé au stand de tir me défouler avant de venir affronter tout ce cirque.

”Mademoiselle Caulfield, si le monde entier sait déjà que vous avez survécu il n’est pas prêt à vous retrouver en si belle forme. Je serais donc contraint d’envoyer un de mes substituts à votre chevet des que vous serez en meilleure forme afin que vous soyez entendue. Pour l’heure je me contenterai des déclarations de Monsieur Theïrin ici présent.”

Avec beaucoup de cérémonie je m’installais dans le fauteuil destiné aux invités bien élevés ceux qui gardaient leurs vêtements sur eux et qui savaient retenir leurs hormones pour des lieux et des temps plus à propos. Je sortais de ma serviette un bloc note, un crayon et un Dictaphone que je mettais en marche avec un grand sourire. Je récitais mon état civil complet, la date et l’heure et le motif de l’enregistrement. Puis je fixais mon regard dans les grands yeux de chien battu de Greg prêt à le dévorer.

”Monsieur Theïrin, commençons simplement. Voulez-vous bien reprendre pour moi le déroulement de la soirée du 1er juin.”

Heureusement que le ridicule ne tue pas, sans quoi je ne sais pas ce qu'il adviendrait des deux pantins qui me faisaient face. Greg est incroyablement irritable, ce que j'aurais pu comprendre dans d'autres circonstances, mais pour l'heure mon être était incapable d'empathie à son encontre. Et sa vague tentative d'intimidation m'aurait presque fait rire tant elle n'avait pas été qu'une représentation de sa personne sur la scène de tragi-comédie qu'était devenue ma vie. Mais le comportement d'Alice.... Il me brisa encore un peu. Comme si le couteau qu'elle m'avait planté dans le coeur en se mettant avec cet homme et en me reniant se plantait un peu plus loin dans mes entrailles.

Je ne réagissais à aucune de leurs déclarations... Monsieur Theïrin jouait les victimes innocente frappée par un bras divin vengeur et implacable. Comme s'il était un agneau mené par son bourreau sur l'autel sacrificiel. Comme si je ne connaissais pas celui que j'avais un jour considéré comme un frère ! Son comportement avait toujours été à la limite du tolérable, il a joué au dieu vivant répandant le bonheur et la vie sur une pauvre planète terre laissée sans lumière. Mais si son intention avait toujours été bonne, comment expliquer les mouvements de protestation et l'attentat dont il avait été victime?

La dernière sortie de ma fille me laissa sans voix et je la laissait nous séparer sans réagir. Je n'était pas en état de me battre sur ce terrain. Ce nom qu'elle venait de prononcer, il créa une vague de frisson dans mon dos. Sans que je puisse vraiment le contrôler mais personne n'avait du le remarquer. Du moins je l'espérais.

"Je vous demanderais l'un comme l'autre de ne pas vous permettre de juger mon comportement qui est celui d'un homme que vous avez foulé au pied ! De plus je ne suis là ni en votre qualité de père Mademoiselle, ni en la qualité d'ami de quiconque ici, je vous prie de vous en rappeler. "

Je défroissais quelque peu ma chemise et remettais ma cravate en place pour me donner une contenance. J'aurais pu et peut être du exploser à ce moment, mais il n'était pas encore l'heure. Il était bien trop tôt...

"Vous pensez que je suis là pour vous torturer, c'est bien mal me connaître, je ne détruis que par des moyens légaux et vous le savez très bien Monsieur Theïrin, vous me traiter de monstre... Si j'en étais un je ferrais cas de votre charmante amie à ma hierarchie, ou je la dénoncerais comme robot altérée. Ce n'est là ni mon but ni mon envie."

Je disais tout cela en prenant grand soin de visser mon regard dans celui de Greg mais en évitant soigneusement celui d'Alice. Je ne pouvais supporter le mal que je lui faisais. Mais il était nécessaire... D'autant plus que toute a souffrance qu'elle éprouvait pourrait être effacée un jour, et ce jour approchait à grand pas. Nous allions pouvoir nous retrouver. Dès lors que celui qui me faisait face aurait mordu la poussière.

"Je suis convaincu que vous vous sentez responsable, et je suis ravi de vous voir prêt à assumer votre hypothétique responsabilité. Mais il faut que vous compreniez que des gens dangereux sont actuellement en liberté, qu'ils menacent la sécurité de notre ville, voir même plus."

Je marquais une courte pause le temps de rassembler mes affaire, de me réinstaller et de relancer un nouvel enregistrement en tout point similaire au premier.

"Je vous redemande, Monsieur Theïrin, voulez-vous bien reprendre pour moi le déroulement de la soirée du 1er juin, il est important que nous puissions avoir une vision des différents acteurs présents à cette soirée pour comprendre qui à pu être à l'origine de ce terrible attentat. D'autant que vous avez été plus que personnellement visé ! Avez vous une raison quelconque de soupçonner quelqu'un ! Aider la Justice à défaut d'aider l'humanité pour une fois"