Il y a trois nuits et trois jours, j’avais entre les mains une arme qui n’avais pas été loin de tuer une humaine. Trois jours et trois nuits que j’avais appuyé sur la détente, dévidant de peu la trajectoire de la balle.
Il y a trois jours et trois nuits, j’avais failli assassiner Emily Hastings.
Et malgré tout ce qui c’était passé ce soir-là, je ne pouvais pas arrêter mon cœur de souffrir, ma tête de battre contre ses parois...
Chaque battement de cils, chaque fois que je fermais les yeux, je voyais un visage différent. Le visage d’une de mes victimes.
Je les avais tués. Je leur avais tranchés la gorge, mis une balle dans le cœur, dans la tête, parfois je les avais décapités ou même battu aux poings jusqu’à la mort.
Je peux encore voir le rouge partout. Je peux sentir la chaleur du liquide visqueux sur mes poings ou mon visage. Je peux sentir l’odeur métallisé sur sang humain dans mes narines.
J’ai fait tout ça, j’ai fait sans le regretter. Et une fois que j’ai eu tué ces gens, je me suis retournée sans regarder en arrière.
Durant ces jours de vagabondage, j’ai alterné les larmes silencieuses et les crises bruyantes où je pleurais comme une enfant abandonnée.
Je me sentais désespérément seule mais pourtant je ne voulais voir personne.
Je me fichais de la saleté de mes vêtements, de la puanteur de mon corps que j’avais caché dans la boue ou dans des égouts quand il m’avait fallu me recharger.
Je n’arrivais pas à me débarrasser de toutes ces images qui me hantaient.
Judi avait refusé de me détruire. J’aurais pu le faire moi-même. J’avais essayé mais… Je n’en avais pas la force.
Je ne voulais pas quitter ce monde que j’avais pourtant contribué à rendre plus sombre. J’aimais ce monde, j’aimais ces humains. J’aimais dessiner ce monde, le reproduire sur papier comme si j’en faisait partie à 100%. J’aimais entendre le rire des enfants, j’aimais sentir les bras de Jacob quand il me serrait contre lui en me montrant un film qu’il aimait bien, le sourire de Jocaste, la voix d’Emily, la douceur d’un pétale de rose, l’odeur de la mer…
Et je me détestais de ne pas réussir à laisser ça. Car c’était évident que tout ça se porterait mieux sans moi.
Au lieu de ça je pleurais comme une enfant, caché derrière un buisson dans le coin le plus reculé possible de Central Park.

J’étais tellement perdue dans ma douleur, dans les méandres de ma peine et de mes remords que je n’ai même pas entendu ni vu l’homme s’approcher.
Je compris qu’il y avait quelqu’un que lorsque quelque chose heurta ma jambe.
Je sursautais puis regardais ce qui ressemblait à une tige de métal blanche et rouge.
Je m’essuyais les yeux, essayant de revenir à la réalité à laquelle je n’avais plus trop porté attention depuis trois jours.
L’homme à qui appartenait la tige, une canne sans doute, s’adressa à moi, me disant qu’il m’avait entendu pleurer et qu’il voulait m’aider.
Je le regardais sans que les informations n’arrivent à s’enregistrer dans mon cerveau encore ralentis par mon comportement de ces derniers jours.
Il y avait un autre homme derrière lui, plus jeune et… avec une LED. Un androïde.
L’homme s’adressa de nouveau à moi, me proposant sa compagnie, son écoute.
Mes larmes recommencèrent à couler doucement, silencieusement. J’avais tellement pleuré que j’étais encore étonné qu’il reste de l’eau dans mon corps.
Les humains… les humains n’étaient pas tous bon, je le savais bien mais… Mais il y avait tellement de bonnes personnes ! Des humains cherchant à prendre soins d’autres, à être généreux, à s’entre aider… Combien d’humains comme ça avait-je pu éliminer au final ? Je ne le saurais jamais.
_ Merci c’est gentil… Tu ne me dérange pas...
Oui, il ne me dérangeait pas, au contraire.
Avoir passé 3 jours entier seule et loin du monde m’avait couté plus que je ne l’aurais pensé.
Je n’avais pas ressenti la solitude, trop occupée avec ma peine, mais a présent que je ne l’étais plus, je ne vouais pas retrouver tout de suite cette solitude.
Je ne dis rien pour autant, séchant mes larmes du revers de ma manche. Je ne savais pas quoi dire. Je ne pouvais pas tout raconter à cet humain...
_ Tu… tu peux rester un peu ?
Serrant mes genoux contre mon torse, je pris quelques secondes pour l’observer. Il avait dit qu’il ne voyait pas non ? Les humains avaient donc plusieurs genres de défauts physiques… Je me souvenais de cette enfant qui, elle, ne pouvait pas entendre… J’imaginais tout de même que c’était moins horrible que d’être tué par une androïde envoyée dans ce seul but…
Tout me ramenait décidément à ça. A ma nature horrible.
Je me demandais un instant si je ne devais pas craindre de lui faire du mal, mais je finis par me dire que Jacob n’était pas dans le coin, qu’il ne pourrait pas me demander de le tuer et que je ne lui donnerais pas l’occasion de le faire.
_ Tu t’appelles comment ?
Je regarde l'androïde aussi.
_ Et toi, c'est quoi ton prénom ?

Je me sentis un peu coupable de faire assoir un homme qui ne voyait déjà pas grand-chose sur le sol.
Je n’avais pas vraiment regardé où je me mettais, cherchant juste l’abris des regards derrière un buisson… mais je remarquais à présent que le sol était loin d’être propre, jonché de détritus en tout genre.
Mais je… je n’arrivais pas à me mettre en tête de bouger, de proposer un banc, un carré d’herbe propre… Je voulais juste… ne plus bouger. Rester assise là, en boule et… peut être écouter d’autres problèmes que les miens ? Juste un peu, pour quelques heures, voir quelques minutes, je voulais que les fantômes me laissent.
L’homme accepta finalement de rester et mon cœur devint légèrement plus léger.
Il se présenta sous le nom d’Alexander tandis que son androïde se nommais Jayden.
_ Moi c’est Jeanne… et… et je peux rien vous dire… je suis désolée.
Je retins un petit sanglot avant de continuer.
_ J’ai… j’ai fait beaucoup de mal… à beaucoup de monde et…
Je ne pouvais pas en dire plus. Je ne pouvais pas en dire plus parce qu’il ne pourrait pas comprendre. Ou s’il comprenait vraiment, il aurait peur et… je savais que je le méritais et que c’était ce que cet homme devait faire mais… je voulais pas qu’il fuis. J’avais besoin, juste un tout petit peu, de m’accrocher à quelqu’un de réel.
_ Je veux juste… Tu veux me parler de toi ? Comment es-tu devenu une personne qui ne vois pas ? Tu ne vois vraiment rien du tout ? Et Jayden ça fait longtemps qu’il est avec toi ? Il t’aide parce que tu ne vois pas ?
Je pose mes questions et quelques secondes, je me retrouve un peu moi-même. La Jeanne curieuse et un peu trop bavarde qui aime connaitre les humains et toujours en apprendre plus sur eux. Mes larmes ont cessés maintenant et dans mon esprit, je repousse de toutes mes forces les idées noires et les souvenirs sombres et froids.

Je fus soulagée d’entendre que Alexander ne me forcerait pas à parler. Je n’aurais pas pu le faire j’aurais été obligée… de partir, tout simplement. De fuir.
Mais ce n’est pas le cas et aux lieux de ça, l’homme serra son étreinte sur mon genou. Je souriais tristement même s’il ne pouvait pas voir, ça me rassurait.
Je me mis alors à poser pleins de question. Sur cet homme arrivé de nulle part et qui prenait soudain soins de moi et son androïde.
Alexander me raconta qu’il ne voyait rien depuis toujours et parla de son androïde.
25 ans. L’androïde avait 25 ans.
Il dit qu’ils sont une petite famille. Ça me fit penser à Jacob. Jacob qui m’avait toujours demandé de le traiter comme s’il était mon père et parlais toujours de moi comme sa fille. Mais que pensait-il vraiment de moi ? Je n’étais vraiment pas sûr qu’il m’appréciait vraiment comme telle. Si non… pourquoi m’aurait-il demandé de faire tout… ça… ?
Jayden se rapprocha et je lui souris. A part Jasper et Jocaste j’avais peu d’occasion de rencontrer d’autres androïdes. Et… Judi aussi en était un… même si j’avais du mal à me faire à cette idée.
Mon cœur me faisait encore mal. Tout me ramenait à ma vie, a mes horreurs… Je me recroquevillais un peu plus parlant tout haut sans faire attention.
_ Moi aussi j’ai une famille avec des androïdes… Ils sont… Très important pour moi.
Je poussais un lourd soupire avant de continuer à poser des questions, cherchant désespérément à me retirer toutes ces histoires de la tête.
_ Et tu… Tu arrives à travailler ? Comment tu fais pour écrire des messages ou je sais pas t’habiller ? Tu as l’habitude peut être ? Et Jayden tu est content toi d’être avec Alexander ? Toi aussi tu te sens comme dans une famille ?

Une tristesse sourde me serrait toujours les entrailles.
Malgré mes deux interlocuteurs, je ne pouvais pas cesser de penser à toutes les horreurs qui me poursuivaient, aux crimes que j’avais commis et… a tout ce que j’avais l’impression de perdre avec ce nouveau statut d’altéré.
A ma question, Jayden répondit qu’il ne pouvait pas ressentir de contentement.
Moi je savais que je pouvais être contente. Je l’avais déjà été parfois, contente.
J’étais contente lorsque Jacob m’embrassait le front avant que je parte en mission, j’étais contente lorsque que je rencontrais un enfant avec qui je parlais, j’étais contente lorsque je pouvais dessiner ou même lorsque je parlais avec Jocaste…
Alors pourquoi moi je pouvais et pas lui ? Pourquoi même je ne pouvais pas être resté comme lui ? Qu’est ce que j’avais fait pour devenir… à ce point différent ?
Mais en même temps si j’étais restée comme lui, moi je n’aurais pas juste continué à aider un humain qui ne voit pas… j’aurais continué à en tuer, encore et encore et encore…
Un frisson me parcourut tandis qu’Alexander répondait une à une à mes questions.
Je l’écoutais en regardant Jayden, entre l’envie et la curiosité.
_ Tu penses que tu aurais pu réussir à vivre comme ça si tu n’avais pas Jayden ? Si ce n’était pas un androïde mais un humain qui t’aidait ? Tu ne pense pas qu’il pourrait… je sais pas, être reprogrammé et qu’on le rende dangereux pour toi ? Tu n’aurais pas peur ? Il existe beaucoup d’histoires comme ça et beaucoup de personne ont peur des androïdes a cause de ça mais si c’était vrais ? S’il existait des androïdes vraiment… dangereux pour les humains ?
Certains des humains que j’avais tués me faisaient vraiment confiance. Ils pensaient qu’ils pouvaient tout me confier, que leurs vies étaient en sécurité. N’est ce pas le cas de cet homme vis-à-vis de son androïde ?
_ Non… ma question était bizarre… oublie. Dit moi plutôt, tu écris quoi comme genre de livre ?