Note à moi-même : Ne plus jamais demander conseil sur un restaurant à Greg. Je n'ai pas encore jeté de coup d'œil à la carte, mais je sais déjà que le prix de la simple salade césar me fera avaler de travers cette eau fraiche dont j'ai demandé à ce qu'elle soit tirée du robinet et non d'une bouteille d'eau à vingt dollars. Mais bon, c'est trop tard pour faire demi-tour, quitter cette table et sortir discrètement de ce restaurant. Premièrement, car j'attends quelqu'un et que je refuse de lui poser un quelconque lapin. Deuxièmement, car je sentais bien que les serveurs androïdes portaient une attention toute particulière à moi, me surveillant presque constamment du coin de l'œil. C'était surement dû au fait que j'étais enceinte de quatre mois et que cela se voyait. Nous sommes en été, et je ne peu pas cacher ma grossesse derrière un quelconque pull sans étouffer.

Un soupire quitta ma bouche, alors que je viens passer une main sur mon ventre bien rond. Et voilà, je vois un androïde se stopper pour me regarder. C'est bon, c'est pas demain que je vais accoucher, calmez-vous. Un nouveau soupire. Je tourne la tête, espérant voir arriver à mon invité. Je suis heureuse qu'il ait accepté ce rendez-vous, même si je pense que j'aurais dû le prévenir que nous serions "trois". D'un côté, j'avais peur de l'effrayer en lui disant que j'étais enceinte. Ça fait longtemps qu'on ne c'est pas vu lui et moi. Avec les événements du premier juin, mon fauteuil roulant, que j'ai quitté depuis peu, mon déménagement, ... Je n'ai pas vraiment eu une seconde de répit.

« Ha, Tom, je suis vraiment contente de te voir. » Disais-je tout en me redressant de ma chaise, m'appuyant sur les accoudoirs pour réussir à hisser la baleine que j'étais en train de devenir. « Je te remercie d'avoir accepté ce rendez-vous. J'espère que ce déjeuner n'empiète pas trop sur ton temps de travail. »

Ouah, j'avais presque oublié à quel point Tom était beau, et toujours aussi bien vêtue. Sans parler de ses yeux, ses yeux bleus si magnifiques. Je crois que c'est l'une des premières choses que j'ai remarquées chez lui, d'ailleurs. Ensuite, ce fut son sourire, son doux sourire si charmeur. Ce même sourire qu'il faisait en me saluant. Mon cœur fit un doux bond dans ma poitrine avant de se serrer tristement. Est-ce qu'il continuera toujours de me sourire de la sorte quand je deviendrais une énorme baleine qui n'arrive plus à voir ses pieds ? Est-ce qu'il voudra toujours qu'on se voient, simplement autour d'un simple verre, café, repas même, malgré le fait que je ne voudrais plus que cela aille plus loin qu'une simple bise ? Je ne sais pas... Je ne devrais pas tant m'inquiéter pour cela, car nous sommes presque toujours vus pour ça et qu'il a toujours attendu ça de moi... Non ? Mon cœur se tord un peu plus en moins... Amie ? Moi ?...

« Oh... Je... J'ignorais que tu me voyais vraiment comme une amie... Je veux dire... Enfin, c'est pas comme ci on avait vraiment parlé... Je suis heureuse que tu me vois ainsi, vraiment. » Disais-je d'un sourire quelque peu gêné, tout en remettant une mèche blonde derrière mon oreille.

Je me réinstalla avec une légère difficulté sur mon siège. Plus ce bébé prend de place dans mon ventre, plus les simples gestes du quotidien me deviennent difficile à accomplir. Bientôt je vais devoir supplier Chappie pour m'aider à m'habiller. Pour le moment, je me débrouille encore pas mal par moi-même, même si je commence à avoir du mal à enfiler mes chaussures, et surtout à faire mes lacets. Je t'aime beaucoup petit bébé, mais j'ai hâte que tu quitte mon petit bedon. En parlant de bedon, justement, Tom me demanda si j'avais commandé, tout en me disant que c'est lui qui payait.

« Oh, tu n'es pas obligé de payer, je... J'ai un peu plus d'argent en ce moment. »

Ok ça devait clairement se lire sur mon visage que mon nez était en train de s'allonger face à mon petit mensonge. Je chercha d'ailleurs à me cacher derrière mon menu que j'ouvris en grand sous mes yeux.

« On m'a recommandé ce restaurant, il paraît que c'est très bon et... Que le rapport qualité prix est très bien... » J'avala difficilement ma salive face à tous ses zéros présents. « Tu sais ce que tu va prendre ? J'attendais que tu arrive avant de commander. »

Ok, j'allais surement devoir me serrer considérablement la ceinture pendant quelque temps après ce déjeuner. Greg, je te préviens que tu va t'en prendre une la prochaine fois que je te vois ! Enfin, il a voulu bien faire en me proposant ce restaurant. Perdu dans mes pensées pendant un instant, je sursauta légèrement en entendant la question de Tom. Un petit sourire timide se créa sur mes lèvres, alors que je posa doucement le menu devant moi.

« Tu ne te trompe pas, Tom. Je suis belle et bien enceinte. » Répondais-je calmement en posant une main sur mon ventre bien rond déjà. « Désolée... Tu aurais peut-être préféré que je t'en parle avant, mais... Ce n'est pas vraiment le genre de chose dont on parle dans un simple SMS. »

Je soupira légèrement, baissant les yeux vers mon ventre, le regardant tendrement. Je l'aimais déjà tellement ce bébé. J'avais déjà tellement hâte de le serrer dans mes bras, de l'embrasser, de lui dire à quel point je l'aime. Tu n'étais peut-être pas désiré, mais sache que je t'attend avec impatience petit amour de ma vie.

« J'espère que tu m'en veut pas... »

Un petit sourire gênée, mais à la fois amusé, se créa sur mes lèvres. Tom est un vrai gentleman, même si notre relation, aussi amicale soit-elle finalement, est loin d'être platonique, il tient vraiment à payer le repas. À moins, qu'il tienne à payer pour que je le remercie d'une toute autre manière... Non, il n'est pas comme ça... Enfin... Est-ce que j'en ai envie ? Je mentirais si je disais que mes hormones de femmes enceintes ne me donnait pas d'étrange envie parfois. Cependant, j'avais décidé d'arrêter tout ça, pour Chappie. Même si... Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine. Même si il ne peu m'aimer...

« On dirait que je n'ai pas d'autre choix que d'accepter. Alors... Merci... » Répondais-je timidement, en souriant malgré la légère tristesse qui m'avait envahi.

Je leva le regard vers Tom quand il m'indiqua ce qu'il allait prendre, avant de rebaisser les yeux sur la carte. Des galettes végétales ? Ha oui, c'est vrai, il est végétarien. Enfin, végétalien plutôt, si je me trompe pas. J'ai un peu de mal à faire la différence, moi qui mange de tout. Peut-être que je devrais prendre quelque ne contenant pas de la viande, ou de poisson. Je peu bien faire un petit effort pour lui, après tout, c'est lui qui paye.

« Ça a l'air délicieux, ce que tu as choisi. »

Le véritable sujet arriva enfin, et ce fut Tom qui l'aborda en premier. Je lui avoua calmement que j'étais belle et bien enceinte, même si peu à peu une douce angoisse montait en moi. Je m'excusa de ne pas l'avoir tenu informé de cette grossesse. Heureusement, il ne m'en tient pas rigueur, même si... Même si il ignorait encore que ce bébé était aussi le sien. J'avale difficilement ma salive. Il faut que je lui dise. Je ne le voulait pas au début, mais le prêtre m'a fait comprendre qu'il était important que mon enfant sache qui était son père. Il faut que je lui dise. Je lui demande pas de l'élever, juste de le reconnaitre. Je sens l'angoisse commencer à m'envelopper, et je sens mon cœur à louper un battement quand il vient à me demander comment l'a pris le père. Mes mains viennent encercler mon ventre, comme cherchant à le protéger.

« Il... Il ne le sait pas encore... » Avouais-je à demi-mot tout en baissant la tête honteuse.

Il faut que je le dise. Il le faut vraiment. C'est le moment, le bon moment même. Je me sens trembler de l'intérieur, mon cœur vacillant presque. Les mots du prêtre résonne dans ma tête, venant m'encourager. Allez, courage Emy ! Tu peux le faire. Envahi d'un soudain courage, j'ouvre la bouche, mais je me fais interrompre par un serveur qui vient prendre nos commandes. Je soupire lourdement. J'avais l'impression d'avoir loupé le moment parfait pour lui annoncer.

« La même chose, mais au lieu du vin, je voudrait un jus de fruit. Ananas si vous avez. »

Le serveur nota nos commandes, puis s'éloigna en emportant avec lui nos menus. Je soupire à nouveau en le regardant partir. Je viens m'enfoncer un peu plus dans mon siège, tout en continuant à caresser mon ventre. Peut-être que finalement je devrais me taire. Tom n'a surement pas besoin de savoir qu'il va être père de cet enfant. Je lève tristement les yeux vers lui. Hésitant un instant.

« Cela fait longtemps qu'on c'est pas vu... Quatre mois, si je ne me trompe pas... »

Si il ne comprenait pas, alors c'était surement le signe qu'il fallait que je me taise.

Je n'ai jamais aussi stressé de toute ma vie. Quatre mots. Quatre petits mots. Quatre petits mots si simples à prononcer, mais qui pourtant semblait vouloir rester nicher au fond de ma gorge. Il fallait que je lui dise, le prêtre m'avait bien fait comprendre l'importance que cela allait avoir sur l'avenir de mon enfant. Un jour, il me demandera bien qui est le père, et j'aimerai pouvoir lui répondre, sans avoir à lui mentir. J'ai envie de lui dire qu'il s'agit de Tom. Un avocat brillant, gentil et très beau. Je n'ai aucune envie de mentir à mon propre enfant, en inventant n'importe quel mensonge. Il est mort. Il est parti vivre loin d'ici. Je me souviens plus. Des mensonges aussi horribles les uns que les autres. Quatre mots. Des mots si banals séparer les uns des autres, mais qui semblait si puissant une fois réunis. Quatre mots qui pouvaient changer à tout jamais des vies.

Je ne trouve pas le courage de prononcer ces quatre mots, venant à me demander si je faisais vraiment le bon choix en décidant de lui annoncer cela. J'hésite énormément en le regardant. Étais-je ce genre de personne-là ? Celle qui détruise les vies des autres ? Non, je ne voulais pas ça. Moi je veux simplement qu'il soit au courant, et qu'il me donne aussi le droit de prononcer, un jour, son nom à notre futur enfant. C'est donc après un temps de réflexion que je finis par en parler, tout en lui faisant très subtilement. Il ne répondit pas de suite, levant lentement les yeux de son téléphone vers moi. J'avale difficilement ma salive. Avait-il compris ? Sa réflexion me fit comprendre que oui. Je sentis mon cœur battre encore plus fort dans ma poitrine.

Il détourna un instant les yeux, me permettant de reprendre mon souffle. Je me sentais essoufflé par tout cela. Quand il tourna de nouveau le regard vers moi, je ressentis d'horrible frisson me parcourir. Ses yeux... On dirait qu'il se retenait de pleurer. J'eu soudainement envie de pleurer à mon tour. Qu'est-ce que j'étais en train de faire ? Je me mordis intérieurement la langue, me retenant pour ne pas m'effondrer en larmes, tout en quittant le restaurant en courant. Ses paroles... Je sentis mon cœur se tordre. Il le sait. J'avais du mal à quitter son regard, comme étant prisonnière. J'étais au pied du mur. Il attendait que je lui dise clairement qu'il était le père. Mes mains se mirent à trembler, et je les posa sur mes cuisses pour les cacher, mais c'est presque tout mon corps qui se mit à trembler ensuite.

« Je sais... » Murmurais-je faiblement, alors qu'une larme perlait sur ma joue sans que je ne puisse la retenir. « Je suis tellement désolée... »

Je baissa les yeux, laissant de nombreuses larmes couler. Mes ongles s'enfoncèrent dans mes jambes. La douleur ne me faisait pas mal, au contraire, cela me permettait de ne pas m'effondrer plus encore. Un monstre. Voilà, le mot qui résonnait à présent dans mon esprit. Je suis un monstre.

« Je voulais vraiment pas te le dire à la base... Je pensais même plus jamais te revoir... Tu ne mérite pas que je détruise ainsi ta vie... »

J'enfonça encore plus mes ongles dans ma peau, laissant surement des marques qui allaient rester quelques jours après celui-ci. J'inspira profondément, relevant le regard humide vers Tom.

« Je ne te demande rien Tom, sache-le ! Je ne te demande pas d'argent ! Je ne te demande pas de l'élever avec moi ! Je ne te demande même pas de le reconnaitre lorsqu'il naitra ! Je... Je veux juste que tu me donne le droit de prononcer un jour ton nom, quand il me demandera qui était son père... »

Je n'arrivais pas à contrôler ses larmes qui coulaient sans fin sur mes joues. J'arrivais tout juste à prendre sur moi pour ne pas m'effondrer complétement dans ce restaurant, et surtout devant Tom. Je m'en veux... Je me déteste même... J'aurais dû surement rien dire, inventer un quelconque père fictif mort ou bien partis loin d'ici. Je n'aurais pas dû lui avouer la vérité, ne lui laissant pas d'autre choix que de prendre conscience qu'il allait être le père de mon enfant. Je sais que toutes les excuses du monde ne changeront rien à ce fait, à cette condamnation que je venais de lui infliger.

Les paroles de Tom sont comme une baffe que je me reçois en plein visage. J'ai soudainement le souffle coupé, n'osant respirer alors qu'il parle. Je sens même mes larmes se stopper net. Mon cœur loupe plus d'un battement, et je crois que je manque même de m'étrangler avec ma propre salive. Ces mots sont durs, cruels même. Elles sont telles des poignards qui viennent s'enfoncer directement dans mon cœur. Ce n'est pas de la simple colère, c'est pire que ça. Je finis même par baisser la tête, me sentant honteuse. J'ai le sentiment d'être la femme la plus horrible qui existe dans ce monde.

Je sentais mon corps trembler, et je posa une main sur ma bouche pour étouffer mon sanglot. Les larmes se remettaient à perler en masse, alors que Tom s'excusait de m'avoir parlé ainsi. Je faisais non de la tête. C'est trop tard, je sais qu'il pense chacun des mots qu'il a dits. Il pense que j'aurais dû avorter, que je serais une mère horrible. Il a raison, je n'ai aucune connaissance sur les enfants, mais j'essaye de me rattraper en lisant beaucoup de bouquins. J'essaye de faire de mon mieux... Je le jure... Je l'aime déjà tellement que je suis prête à tout pour lui...

Peur de ne pas être bon père ? Ces mots me surprirent tellement que je releva la tête vers lui, le voyant pleurer. Je ne sais pas comment réagir devant cette déclaration, et encore moins fasse à ses larmes, car... Je ne lui demande nullement d'élever cet enfant. Je ne veux pas lui imposer ça. C'est moi qui aie décidé de le garder, pas lui. Finalement... Malgré les paroles du prêtre qui restaient bien présentes dans un coin de ma tête... Je me sentais prête à exclure complétement Tom de la vie de mon enfant. Je ne sais pas encore ce que je lui dirais le jour ou il me demandera de lui parler de son père, mais je me débrouillerai le moment venue. Je ne peux pas imposer quoi ce soit a Tom... J'en fait déjà trop avec mes mots... Et au vue de ses paroles...

Je pris tout de même le mouchoir qu'il me tendais, alors que j'écoutais ces dernières paroles, d'une oreille seulement. Je fouilla dans ma poche et posa un billet que la table, payant ainsi le plat que je consommerai finalement pas.

« Tu sais quoi ? Fait comme ci cette conversation n'avait pas eut lieu. Je n'ai pas le droit de t'imposer quoi ce soit. »

Je me leva de ma chaise, touchant mon ventre au passage, comme voulant le protéger de mes prochaines paroles.

« Je ne sais pas si je serais une bonne mère, mais je sais que j'ai tout fait pour le protéger lors de la soirée du premier juin, car je l'aime plus que ma propre vie. Alors garde ton argent et tout ce qui va avec. Je peux me débrouiller toute seule pour élever mon enfant ! »

Il y avait une certaine colère dans ma voix, malgré les larmes. Sur ces mots, je me dirigea d'un pas rapide vers la sortie, laissant les larmes couler de nouveau sur mon visage.