Jasper me déposa à plusieurs quartiers de distances de la maison de ma cible.
Emily Hastings, 28 ans.
Jacob m’avait donné les informations qu’il me fallait pour mener à bien la mission. C’était une femme qui avait des enfants en bas âges et qui vivait avec un homme.
De ce que m’avait dit mon propriétaire, les jeunes enfants se réveillent souvent la nuit alors je n’avais qu’a attendre que le père se lève pour exécuter rapidement ma mission et repartir. C’était le plan.
Pendant le voyage en voiture puis a pied, je ne pouvais m’empêcher de penser à la Emily que je connaissais et sans que je ne puisse comprendre pourquoi, mon cœur se serrait douloureusement.
J’aimais bien cette humaine. Je ne l’avais vu que deux fois dont une qui n’était pas un très bon souvenir pour aucune de nous deux surement.
Parfois je pensais à elle et je me disais que j’aimerais bien la revoir, mais je n’avais jamais osé.
Je secouais la tête pour chasser son image. Je ne devais pas y penser, je devais ne penser à rien, rester professionnelle et concentrée sur mon travail. Je le devais. Mais j’avais de plus en plus de mal ses derniers temps.
Je m’étais déjà faite voir, j’avais failli louper plusieurs cibles et j’en avais même perdue une.
Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’avais peur d’être cassée ou quelque chose comme ça… Mais Jacob ne croyait pas à un possible disfonctionnement et continuait à me donner des missions.
Je fus bientôt arrivée à la maison de ma cible. Discrète et habillée tout en noir, je savais que personne ne m’aurait vu. Je n’étais qu’une ombre fugace.
J’escaladais un mur et passais par le jardin pour trouver une fenêtre qui donnait sur la chambre puis restais dans un coin pour observer la pièce.
Ma vision nocturne me permis de voir deux silhouettes dans le lit. Je vis les cheveux bruns et court de l’homme mais je m’intéressais plus à ma cible.
Je l’observais un instant puis me figeais.
Non non non !
Ce n’était pas possible !
Ça ne pouvait pas être elle !
Pourtant je la reconnaissais bien, ces longs cheveux blonds, son visage ovale au teint clair… Je savais que c’était elle.
J’étais tétanisée.
Mon cœur battait trop vite et je me sentais perdue.
Non je ne voulais pas d’elle comme mission !
Je ne voulais pas la supprimer !
Je ne voulais pas la… la tuer ! Pas elle !
Je devais partir, je devais fuir loin d’elle pour ne pas lui faire du mal ! Je devais dire à Jacob que je la connaissais et qu’il ne fallait pas la… la tuer…
Mais mon corps refusait d’obéir. J’avais une mission, j’avais reçu un ordre clair de la part de mon propriétaire, je ne pouvais pas la contourner. Je ne pouvais rien faire d’autre que d’attendre. Mais je ne voulais pas.
Je luttais contre mon propre corps, espérant, priant de toutes mes forces pour que les enfants ne se réveillent pas de la nuit, ou que se soit elle qui se lève et pas Judi.
Mes mains montèrent toutes seules le silencieux sur le canon de mon pistolet, tremblant légèrement.
Il se passa peut-être une heure sans que rien ne se produise. J’avais fini par penser qu’il ne se produirait effectivement rien… puis un bruit perça la nuit. Un enfant qui pleure. Et l’homme se lève.
Je ne peux empêcher mon corps d’agir ensuite.
J’ouvris la fenêtre avec un outil spécialement conçu pour ne faire aucuns bruits me glisse dans la chambre.
A l’intérieur de moi, dans ma tête, je hurlais. Je ne voulais pas faire ça ! Je voulais partir, je veux fuir très loin.
Mais rien n’y faisait. Je m’approchais du lit et dégainais mon arme.
Je me battais contre moi-même, je ne voulais pas ! Je ne voulais pas !
Je visais ma cible avec le canon de mon arme.
Je me débattais tant et tant pour ne pas appuyer sur la gâchette que mes mains en tremblaient. Les larmes commençaient à couler sur mes joues. Je n’avais pas encore perdu, mais la guerre faisait rage en moi.
Je me mis à murmurer très doucement, me parlant à moi-même.
_ Je ne veux pas faire ça, je ne veux pas faire ça… pitié je ne veux pas faire ça…
Les larmes coulaient toujours sur mes joues et noyaient mes yeux. Je ne voyais plus rien. Je me sentais faiblir mais je ne pouvais pas abandonner !
J’avais l’impression de ne plus pouvoir respirer.
Tout s’embrouillait dans ma tête.
Tout allait de plus en plus vite.
Je ne voulais pas.
Je ne voulais pas.
Je ne voulais pas.
Je ne voulais pas !!!
Soudain, je levais mon arme vers le plafond, appuyais sur la gâchette et tombais inconsciente.

Le noir se dissipa petit à petit mais j’étais toujours perdue.
J’ouvris mes yeux sur un plafond que je ne connaissais pas.
Quelque chose n’allait pas.
Je me redressais lentement et vis la silhouette de deux personnes sur un lit.
Emily. Judi.
Tout me revint instantanément et mes yeux se remplirent de nouveau de larmes.
Je presse une main contre ma bouche.
_ Mon dieu.
J’étais toujours assise sur le sol et me suis reculée jusqu’à sentir le mur dans mon dos. Il fallait que je mette le plus d’espace entre eux et moi.
J’avais peur, j’étais terrifiée de ce que je pouvais leur faire, de ce que j’aurais pu faire.
Après quelques toutes petites secondes, je finis par totalement éclater en sanglots.
_ Je suis désolée ! Pardon, pardon, pardon.
J’essuyais les larmes qui revenaient encore et encore.
_ Pardon, je suis tellement désolée. Pardon, pardon.
Je n’arrêtais pas de m’excuser tout en pleurant.
J’avais failli la tuer. J’avais failli supprimer son existence.
_ Je suis tellement, tellement désolée…
Je pleurais encore et encore.
Un à un, les visages de tous les êtres que j’avais tués me revinrent en mémoire.
Toutes celles que j’avais tués, assasinés.
Je connaissais le visage de presque tous, le nom de la plupart d’entre eux.
Et chaque visage, chaque nom qui remontait me provoquais comme un coup de poignards dans le cœur.
_ Pardon, pardon, pardon, pardon…
J’égrainais les « pardons » sans m’arrêter.
Je ne m'excusais pas seulement pour Emily et Judi, mais pour toutes mes victimes, même si rien n'excusais ce que je leur avait fait.
J’étais un monstre, une horreur.
J’avais été construite pour détruire, pour anéantir. J’avais été construite pour apporter la mort autour de moi. J’étais la commande d’un homme sans cœur et sans scrupules. Comment un humain peut commander la mort d’un autre ? Pourquoi Jacob m’avait fait continuer ce massacre ? Il aurait dû me détruire, me supprimer.
C’est ce que je devais faire maintenant.
Relevant la tête, je cherchais mon arme des yeux.
Ne la voyant pas, je compris qu’il devait être en leur possession.
Je me levais donc et me rapprochais du couple.
_ C’est vous qui l’avez, mon arme. Je sais que c’est vous qui l’avez.
Mes larmes continuaient de couler et je pris un ton suppliant.
_ Je vous en supplie, servez-vous-en ! Je ne peux plus continuer comme ça. Je fais trop de mal autour de moi. Je vous en supplie, supprimez-moi ! Visez ma carte mémoire ou mon processeur ou quoi que se soit qui me désactive définitivement ! Il faut me détruire avant que je ne fasse plus de mal... S’il vous plait, je suis dangereuse… je ne veux plus risquer de l’être… s’il vous plait.
Je me retrouve de nouveau sur le sol, le visage dans les mains, à genoux.
Tant pis si mes mots ont trahi ma condition d’androïde. Tant mieux même, si ça peux leur permettre de comprendre ce que je suis et ce qu’ils feraient mieux de faire.  

A ce moment-là, je n’avais pas peur de la mort, de la destruction.
Je n’y pensais même pas en réalité.
Je ne pensais qu’au fait de ne plus risquer de faire du mal à personne.
Ils DEVAIENT m’arrêter.
Les visages de mes victimes revenaient à tours de rôle sous mes yeux pourtant fermés. Je me débattais et il en revannait un autre.
Qu’ils se dépêchent !
Mais ce n’est pas ce qu’ils firent. Ni l’un, ni l’autre.
Judi descendit du lit, je ne m’en aperçus que lorsque je sentis ces mains prendre les miennes.
Je pleurais toujours mais le flou de mes larmes dans mes yeux ne me permis pas de rater la blancheur d’une peau artificielle. Une peau d’androïde.
Cela a eu pour effet immédiat de tarir mes larmes.
Judi ? Un androïde ?
Mais il a une femme et des enfants !
Il a une vie normale, il a des amis… Comment est ce possible qu’il ait tout ça…
Mais une petite voix en moi me chuchota l’évidence ; lui n’a pas été conçu pour tuer. Peut-être a-t-il fait des choses horribles mais il est évident par sa réaction, quand il m’a vue le jour où nous nous sommes rencontrés la première fois, qu’il n’a jamais eu à tuer lui aussi.
Les larmes recommencèrent à couler doucement.
Judi fini par me demander si j’avais ordre de l’éliminer. J’allais répondre mais Emily pris la parole, s’étonnant que je sois une androïde, puis demandant le lien que nous avions avec Judi.
Mais ils ne comprenaient rien. Emily surtout.
Pourquoi s’étonner que je sois une androïde ? Pourquoi demander notre relation avec Judi ?! J’avais failli leur faire du mal merde !
Il fallait que je les fasse réagir. Qu’ils se sentent menacés pour vraiment passer à l’acte et me détruire. Il fallait que je leur fasse comprendre à quel point je pouvais être dangereuse !
Je me levais donc brusquement. Le visage toujours baigné de larme mais crispé par l’énervement, la voix autant noyé par les larmes que par la colère.
_ Non non, vous ne comprenez pas ? Oui je suis une androïde, j’ai été construite dans le but de tuer des gens ! Des gens comme vous qui n’ont rien demandés ! Si Judi me connais c’est parce qu’il m’a déjà vue tuer ! Parce que j’avais une mission, que je l’ai remplie sagement sans jamais me poser aucune question ! Et je me suis faite passer pour une pauvre victime simplement pour qu’il me laisse tranquille ! Et si je suis là aujourd’hui c’est parce que c’est toi Emily qu’on m’a dit de tuer !
Un sanglot me bloque la gorge quelques secondes et je reprends.
_ J’ai tué des centaines d’humains et même des androïdes, depuis le premier jour où j’ai ouvert les yeux. Et ne me parlez pas d’éveil, qu’est ce qui pourrais vous assurer que c’est bien le cas ?! Qu’est ce qui vous dit que je ne pourrais pas chercher à vouloir finir le travail là maintenant ?! Monsieur Gregory m’avait dit que j’avais développé une conscience, mais je tuais quand même des gens ! Je suis dangereuse, je vous le répète, je ne devrais pas exister. Je ne devrais plus exister.
Je m’étais un peu rapproché d’eux en parlant. Malgré ma taille et mes larmes, je me savais menaçante. Je savais que j’étais capable de faire peur, surtout quand on comprenait ce que j’étais capable de faire.

La tristesse. C’était de la tristesse que je ressentais. C’était elle qui circulait dans mon corps, qui m’emprisonnait le cœur et me compressait mon système respiratoire.
Et Emy et Judi. J’avais peur pour eux, peur que je leur fasse du mal… tellement peur…
J’avais déjà ressenti cette sensation par le passé, face à Elizabeth. Ressentir mon corps qui refusait de m’obéir, vouloir faire quelque chose contraire à ce que moi je voulais faire. Je venais d’expérimenter de nouveau ça et… et si ça recommençait ? Et si je sentais mon corps aller vers Emy, lui casser le coup, lui arracher les bras je… Je ne pouvais pas vomir mais je l’aurais fait si j’avais pu.
Et je voulus leur faire peur, les intimider pour qu’ils réagissent, qu’ils sortent l’arme que je savais être entre leur main et qu’ils m’abattent. Pitié, ne me laisser pas comme ça…
Mais pourtant, Judi s’approcha de nouveau de moi, ce qui me fit sursauter, et me demanda le nom du commanditaire.
Je pleurais toujours et encore en lui répondant.
_ Je… je ne sais pas… je ne sais pas je suis désolée… Je… je veux jamais en savoir plus que de nécessaire sur mes cibles… sur mes… victimes… Je suis désolée mais je… je chercherais.
Judi pris ensuite de nouveau la parole pour dire que le fait que je culpabilisais faisait de moi une personne bien. Je n’étais pas d’accord. Ma culpabilité ne pourrait jamais effacer toutes les vies que j’ai prises… jamais…
J’appris ensuite par Judi qu’il… avait déjà tué lui aussi.
Cette information me donna encore plus l’impression que l’on me détruisait de l’intérieur.
Il avait peut-être tué mais lui l’avait fait pour quelqu’un. Quelqu’un qui était en danger. Moi je n’avais toujours été que la source du danger.
Je les regardais se prendre l’un l’autre dans les bras et je songeais qu’il serait mieux que je parte. Je n’étais toujours pas sûr de ne pas leur faire de mal et… de toute évidence il ne voulait pas me supprimer.
Ils parlaient même de… deuxième chance !
Le regard dirigé vers mes pieds, je réponds tout bas à Emy, laissant mes larmes couler sur leur sol.
_ Je n’ai jamais été autant moi-même qu’avec toi Emy… Mais je… Je pourrais jamais me racheter pour toutes les vies que j’ai prises… jamais. A moins que l’homme dont tu parles peu me… faire disparaitre.
Je lèvre finalement le regard vers Emy, la regardant dans les yeux, plein d’espoir.