Ne hurle pas, caresse moi (SKAAN)

CARESSE MOI

Pour une fois, j’étais tranquillement installé dans mon bureau, une petite paire de lunettes de vue sur le nez. Avec l’âge, les problèmes de vue commencèrent à arriver. Mais rien de grave, juste pour la lecture sur écran… Nous avions fait changer mon bureau éclaté par des androïdes de la société, ni vu ni connu. Il n’y avait plus aucune trace de ma crise, du sang, des éclats de verre… Ni même de nos ébats avec Skaan. Je rougissais légèrement à cette pensée. Je couchais avec lui de plus en plus régulièrement… Adam n’était pas au courant… Et s’il le savait, je ne savais pas ce qu’il ferait. Alors, je ne le lui disais pas. Il entrait toujours dans une étrange rage noire lorsqu’il apprenait, voyait, ou savait que j’étais avec quelqu’un d’autre. Et cela allait de la simple attention, au baiser, jusqu’à coucher avec quelqu’un d’autre que lui.

Comme si… Comme si seul lui avait le droit de me satisfaire. Une décharge d’adrénaline me secoua à cette pensée. Adam… Adam… Adam… Je n’avais que lui en tête, et ce depuis des années. Je vivotais des miettes de son attention, des bribes de son « amour », alors qu’il aimait à  m’appeler son petit toutou. Mais pour moi, il était tellement plus que cela… Il était mon amour. Un amour fou, sans commune mesure, sans limites. J’avais besoin de lui pour continuer à survivre. J’avais besoin de lui pour ne pas me suicider, même si souvent… c’était limite. Je savais qu’il aimait ça. Il adorait cela, même, de savoir que vivais sur le fil de la vie ; que je vivais au bord du gouffre et que je pouvais sombrer à tout moment.

Parfois, il m’appelait en plein coeur de la nuit pour se rassurer, je le savais, même s’il ne le montrait pas du tout. Il appelait pour savoir que j’étais toujours là, bien là, avec lui, que j’étais toujours en vie. Je prenais cela comme une marque d’affection de sa part, alors qu’il en était peut être tout autre. Mais vivre sans la faveur d’Adam équivalait à mourir, alors… Je préférais y croire, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Mais récemment, il m’avait fait une énorme crasse par rapport à la société… Je ne préférais pas y penser, je voulais passer l’éponge… Je ne supportais pas le conflit par rapport à lui, avec lui.

J’avais peur qu’il m’abandonne si je lui tenais tête trop fort. Alors je ne disais rien, et je me laissais faire, même lorsqu’il me faisait des crasses pas possibles. Et il le savait, je le supposais alors il continuait… Je soupirais à mon bureau, continuant à lire des mails de client concernant des avis sur leurs commandes de robots. Que du positif, sauf l’homme qui possédait la petite Kara, que nous avions fini par devoir tuer… Elle ressentait trop, trop fort, elle était trop énervée pour que nous puissions la rebooter. Nous nous étions excusés et lui avions proposé un nouvel androïde du même âge gratuitement en échange de son silence et pour calmer son mécontentement. Skaan m’avait beaucoup aidé avec la petite Kara. Nous l’avions bien étudiée, nous avions bien pris le temps avant de la tuer. Et maintenant, nous avions Violette… La perle de Grégory Theïrin. A étudier, mais à ne faire aucun mal pour faire chanter Theïrin le moment venu. Je continuais à taper sur mon ordinateur, concentré, pour une fois la crise plus loin de moi que d’habitude.  

(c) miss pie

CARESSE MOI

Je mentais si je ne disais pas qu’Adam avait bien plombé nos recherches en tuant la petite Kara prématurément… Mais il m’avait tellement bien baisé la nuit suivante… Que je ne pouvais rien dire. J’aimais cet homme à la folie, et je lui passais tout, absolument tout. Mon amour pour lui n’avait de limite que ma propre folie, que mon propre désespoir… Et ce dernier n’avait de limite que celles de ma vie. Très fines, donc. Je remontais très sérieusement mes petites lunettes sur mon nez, continuant à travailler sur des dossiers, essayant de ne pas y penser… Même si ça me hantait. Kara… Kara ressentait… Kara était plus humaine que moi, qu’Adam, que Skaan. Et nous l’avions tuée  - ou plutôt, Adam l’avait tuée. Mais il ne pouvait en être autrement, non ? Pour nos recherches, il ne pouvait en être autrement.. Nous avions besoin d’elle, et elle ne pouvait pas continuer à vivre autrement; elle ne pouvait tout simplement pas, ou le secret de notre entreprise serait révélé au grand jour. Et ça, je ne pouvais pas me le permettre, pas maintenant. Le jour de mon suicide, oui, pourquoi pas ; mais pas aujourd’hui.

J’entendis alors un pas lourd et rapide se diriger vers mon bureau. J’avais compté les heures avant que cela n’arrive… Je savais que Skaan n’était pas content. Vraiment, vraiment pas content. J’étais même plutôt surpris qu’il ai attendu tout ce temps pour venir jusque dans mon bureau pour hurler son mécontentement. Je fis mine de rien lorsqu’il ouvrit violemment la porte de mon bureau et vint jusqu’à moi en parlant extrêmement fort. Je l’écoutais tout en continuant de travailler, le visage inexpressif. Une fois qu’il eut fini son laïus je soupirais et retirais mes petites lunettes, que je rangeais soigneusement sur le côté de mon bureau. En dehors de mes crises, je pouvais être sans coeur, incisif, un vrai requin. Il faut faire quelque chose pour Adam. Il a ruiné une bonne partie de nos recherches ! Et toi tu ne dis rien ! Tu te laisses encore écraser par ce connard ! Je suis désolé mais cette fois je ne me tairai pas !



« Oui, bonjour à toi aussi Skaan. Comment vas-tu en cette belle journée ? Moi, ça va, j’ai pris mes compléments alimentaires aujourd’hui. J’ai mangé une jolie salade à midi, préparée par notre chef androïde. David s’est bien amélioré, je suis plutôt satisfait de sa salade César. »

Il s’approcha en plaquant brutalement ses bras forts et musclés- que j’adorais tant - sur mon bureau. Je souriais en le voyant faire et levais les yeux pour soutenir son regard de mon regard acéré, lucide, et horriblement froid. Je restais assis, croisant les jambes sous mon bureau, avant de reprendre la parole d’un ton horriblement calme, me remettant à taper sur les touches du clavier de mon ordinateur. Je savais que j’allais faire péter un câble à Skaan et c’était exactement ce que je cherchais.

« Adam nous a rendu service. Maintenant, cette petite garce ne fera plus chier personne. Tu devrais être content, non ? Et puis, nous avons toujours l’autre androïde, Violette. Elle devrait te suffire à combler tous tes désirs…? A moins que Kara te manque trop ? »

Je sous entendais bien évidemment qu’il se tapait lui aussi de jeunes robots, bien que Violette soit une adulte. J’aimais jouer avec Skaan lorsqu’il était en colère.   

(c) miss pie

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La main de Skaan entoura soudainement mon cou. Quoi ? Pour qui se prend-il ? Je ne suis pas une poupée de chiffon ! Il n’y avait qu’Adam qui avait le droit de… bref. Pas Skaan. Je devais me faire respecter. Je ne m’énervais que rarement à ce point, et la main de mon ami autour de mon cou m’avait fait vriller d’un seul cou. Je fronçais les sourcils, mes deux mains frêles s’entourant autour de son poignet. Il ne serrait pas fort ma gorge, mais je..

Déjà je ne le supportais pas. Ce symbole de soumission qu’il m’imposait sur le lieu de travail, et non lors du sexe. Je lui lançais un regard d’une colère glacée, alors qu’il reprit la parole. C'est ça que tu veux ? Oh, non, Skaan… Ne commence pas avec ça… Il serrait de plus en plus fort ma pauvre gorge, m’empêchant presque de parler. C'est ça qui te fait bander ?? C'est pour ça que tu te laisses écraser comme une merde par Adam ?! Oh, non, Skaan.. Tu ne t’en tirera pas comme ça.

Je tirais de toute mes forces sur son poignet, sachant d’avance que c’était peine perdue, mais je ne pouvais m’en empêcher. Il me lâcha brusquement et je me mis à tousser pendant qu’il reprit la parole.. Quoi? Pardon? Je n’avais pas eu le temps de reprendre mon souffle qu’il s’approcha de moi, me parlant d’amour. Que l’amour m’aveuglait et qu’un jour Adam me tuerait de ses propres mains. Mon visage se déforma par la haine et je passais de toutes mes forces une claque à Skaan.

« C’est toi veut me parler d’amour ?! TOI ? TOI QUI EST, J’EN SUIS SUR, AMOUREUX DE MOI ET QUI NE ME DIS RIEN ? TOI QUI FAIT TOUT POUR MOI, ABSOLUMENT TOUT, ET QUI ME REPROCHE DE FAIRE LA MÊME CHOSE POUR UN AUTRE HOMME ? ET C’EST TOI QUI VIENT ME PARLER D’AMOUR ? »

Je tapais violemment sur le bureau, me rendant compte de ce que je venais de sortir. Mon coeur se serra… J’étais trop fier pour faire machine arrière. Je ne savais pas si je pensais ce que j’avais dit, je crois que je… Oui. Je crois que quelque part, une petite partie de moi le pensait. La colère partit aussi vite qu’elle était partie et je me laissais tomber sur le fauteuil de mon bureau, épuisé, cachant mon visage dans mes mains. Je murmurais alors d’une voix aussi frêle que celle d’un bébé oisillon, confiant mes émotions les plus profondes à Skaan.

« Désolé… Je n’aurais pas du dire cela, je  n’aurais pas du te frapper, excuse moi Skaan. Je sais que tu as raison, je lui en parlerai. Je règlerai tout cela, je ferai quelque chose, je… »

Nous savions bien tous les deux que c’était faux. Je retirais mes mains de mon visage et regardais Skaan avec un regard d’une tristesse infinie.

« Pourquoi t’es là ? Pourquoi tu restes ? Je ne suis qu’une loque humaine, je le sais, l’amour me détruit - c’était un petit aveu de ma part - mais toi tu pourrais être libre. Tu ne devrais pas perdre ton temps avec une cause perdue comme moi. »

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Je sentais un changement dans la voix de Skaan quand il me dit de ne plus jamais le frapper. Je sentais bien que je n’avais pas intérêt à le faire. De toute façon… Je n’en avais plus la force, plus l’énergie, plus rien. J’étais écroulé dans mon fauteuil qui semblait bien trop grand pour moi, alors que je me recroquevillais sur moi même. Je.. Je n’avais jamais de juste milieu… Jamais… J’étais fatigué de moi même. De nombreux médecins m’avaient conseillé d’aller voir un psychiatre, ou d’aller aux urgences psychiatriques, mais je ne l’avais jamais fait. Pour me punir ?

Certainement…Mais aussi parce que j’avais toujours été comme ça, je crois, aussi loin que je me rappelle, depuis la mort d’Isabella. Et je ne voulais plus sortir de ma zone de confort. Ma zone de confort tellement inconfortable… Adam y était beaucoup pour l’état dans lequel j’étais, mais je ne voulais pas le laisser, je ne pouvais pas le laisser… Je ne pouvais pas vivre sans lui… Je savais que Skaan avait raison. Je fermais douloureusement les yeux en l’entendant me parler, agenouillé devant moi. Une unique larme perla sur ma joue et je rouvrais les yeux, le transperçant de mon regard.

« Skaan.. Je sais que tu as raison, c’est ça.. C’est ça le pire. Je sais que tu as raison. Que je ne devrais pas me laisser marcher dessus, que je ne devrais pas le laisser faire tout ce qu’il fait… Que je ne devrais pas m’écraser de la sorte, mais, mais.. Je l’aime… Je l’aime comme tu m’aimes comme je t’aime - je ne me rendais pas compte de ce que je venais d’avouer à Skaan -… Je ne peux pas vivre sans vous… Je ne peux vivre ni sans lui ni sans toi, vous êtes mon coeur, sans vous je suis mort… Je sais que je te traite mal, parfois, que tu as l’impression que je joues avec toi, mais c’est pas le cas… j’ai jamais joué avec toi, Skaan, et y’a beaucoup de fois où je n’en ai pas fini parce que j’ai pensé à toi… Je.. Je suis addict à Adam, je ne peux pas vivre sans lui, j’en mourrais, tu comprends ?… Je ferais tout pour lui, absolument tout… »

Je venais poser une main délicate sur la joue de Skaan.

« … Mais je ferai tout pour toi aussi, Skaan. Je ne peux pas vivre sans toi. Je ne peux pas vivre sans toi… J’ai déjà dit non à Adam plusieurs fois lorsqu’il m’a demandé de te virer… Je lui ai tenu tête… Pour toi… Parce que… Parce que… »

Le Je t’aime n’arrivait pas à sortir consciemment. Quel genre de tordu aime deux personnes différemment mais du même amour ? Je pinçais les lèvres, avant de laisser tomber ma main de sa joue, détournant le regard, une autre larme perlant sur ma joue. J’étais dans un de mes rares jours de lucidité, et Skaan devait s’en rendre compte.

« … Je ne peux pas vivre sans toi, Skaan. »

Et il s’agissait de la plus belle forme d’amour.

(c) miss pie