Je ne comptais plus les jours qui me séparaient de ma visite chez Emily et Judi.
Autant de jours que je n’avais pas vu mon propriétaire, ou juste de loin.
Autant de jours que je ne m’étais pas lavé.
Autant de jours à pleurer, à souffrir, à être perdue, désespérée…
Au bout de quelques temps, l’image de Monsieur Gregory était revenue à moi.
N’était-il pas le créateur des androïdes ?
C’est lui qui m’avait dit en premier que j’avais développé une conscience. Lui qui m’avait dit à quel point c’était une bonne chose… Peut-être… peut être aurait-il les réponses aux questions que je n’arrivais même pas à formuler ?
Mes pas me conduisent sans vraiment que je n’y fasse attention à la demeure de Gregory Theïrin. J’étais déjà venue avec Jacob… l’accompagner… quand je n’avais pas encore compris à quel point…
Je me sentais… fatiguée, épuisée même, malgré les recharges que j’avais pus faire. J’étais sale, mon corps était abimé à plusieurs endroits de même que mes vêtements.
Mais c’était mon cœur le plus lourd. Celui qui me faisait mal et qui m’empêchais même parfois de respirer.
Je ne pleurais plus autant qu’au début toutefois. Parfois je versais quelques larmes… mais je me sentais surtout piégée dans une tourmente infernale, sombre et froide, de laquelle je ne pouvais pas sortir.
Une fois devant la porte, je sonnais et me présentais lorsque l’on me répondit.
_ Bonjour je… je viens voir Monsieur Theïrin… Je suis Jeanne Wal… Jeanne XB6606.
Je crois que j’étais comme… en colère contre Jacob. Je lui en voulais d’une manière ou d’une autre mais surtout, je ne me sentais pas la force de me présenter sous une identité humaine. Je ne le méritais pas. Je ne méritais pas d’être associé à cette espèce dont j’avais supprimé autant de membres…
Avant même de voir Monsieur Gregory, les larmes recommencèrent à s’accumuler dans mes yeux.
Je me rendais compte que ce n’était peut-être pas une bonne idée de revenir ici… d’autant que Gregory devant certainement être au courant de ma disparition. Jacob n’avait pas fait passer de message auprès de la police ou du grand public, mais je savais qu’il m’avait faite rechercher… C’était trop tôt pour le revoir.

Cela me fit bizarre de voir le visage de Monsieur Gregory.
J’avais perdu l’habitude de voir des visages connus et surtout… voir son expression empreinte d’inquiétude me rendais d’autant plus triste.
J’entrais quand il m’y invita.
_ Merci…
J’avais pleins de choses à dire et en même temps… tout se bousculait dans ma tête et dans ma bouche. Rien ne sortait.
_ S’il te plait Gregory… ne dit pas à Jacob que je suis là… Je t’en supplie.
Je passais mon bras devant mes yeux pour essayer les larmes avant qu’elles ne se mettent à couler.
_ Je… je… j’ai besoin de toi. De te parler… Il s’est passé pleins de choses et… j’ai peur et… je m’en veux… j’ai peur d’être un monstre, j’ai peur de le redevenir si… je sais pas si…
Encore une fois tout se bloquais dans ma bouche.
Je pris la direction du salon et m’assis sur le canapé. Une nouvelle fois je m’essuyais les yeux avant que les larmes coulent.
Je pris une grande inspiration puis recommençais à parler, parler, parler, parler et encore parler.
_ J’ai fait tellement de mal a tellement de personne, j’ai tué des gens par centaines parce qu’on m’a dit de le faire, sans jamais me poser de questions alors même que tu m’avais déjà dit que j'avais développé une « conscience » comme tu m’a dit. Et je ne m’en rendais même pas compte ! Je ne me rendais même pas compte de l’horreur de toute ce que je faisais ! J’avais bien des chatouillis… j’avais comme… un peu mal les deniers temps mais je ne comprenais pas d’où ça venait ! Et quand j’ai dû tuer mon amie j’ai… j’ai pas réussi et il y a eu ce… je ne sais même pas dire ce que c’était. J’étais vraiment, vraiment très proche de la tuer, mon corps ne m’obéissait plus… Je ne sais même pas comment j’ai réussi à ne pas la tuer je me suis juste… évanouie… Et maintenant je comprends, je comprends tout ce que j’ai fait. J’ai tous ses visages dans la tête qui viennent tout le temps et qui ne partent pas et qui me font tellement tellement mal ! Ils sont toujours là, toujours. Je leur ai fait du mal! Ils ont souffert par ma faut, ils sont mort par ma faut et leur famille les a perdu par ma faute ! J’ai peur de recommencer Gregory ! Et si je recommençais à tuer des gens sans pouvoir m’en empêcher ? Et si je faisais du mal a quelqu’un… quelqu’un que j’aime ? Je t’en supplie Gregory, dit moi qu’il y a une solution ! Dit moi qu’il y a quelque chose à faire…
Cette fois les larmes coulent vraiment sur mes joues. Je n’ai pas réfléchi. Je n’y arrive pas vraiment.

J’avais tellement mal. Je j’étais tellement triste.
Tout ça… tout ce que j’avais fait…
J’étais un monstre c’était évident.
Pour n’importe qui, n’importe qui même Gregory, je ne pouvais être qu’un monstre.
Je pleurais encore et encore. Je parlais parce que j’avais peur d’arrêter. Je parlais parce que j’avais trop de choses à dire. J’avais peur de m’arrêter et d’affronter le regard de Gregory. Je ne voulais pas qu’il décide de me détruire et en même temps… je savais que je le mériterais.
Je levais le visage vers Gregory lorsqu’il mit sa main sur mon épaule, le regard plein de tristesse, de peur et d’espoir.
Je plongeais dans ces yeux, écoutant ce qu’il me dit.
J’attendis qu’il eu fini pour parler. J’étais… plus perdue que jamais.
_ Non… Enfin si c’est Jacob qui me l’a demandé mais… ce n’étais pas le premier… Au début j’étais avec un humain qui me laissait dans une grande pièce toute seule quand il ne se servait pas de moi… avec Jacob c’était… différent. Il si gentil avec moi… Je ne sais pas quoi penser…
J’étouffais un sanglot avant de continuer.
Je réfléchissais aussi vite que je pouvais.
J’aimais Jacob. J’aimais beaucoup Jacob, il avait toujours été tellement gentil avec moi mais… Lui il savait ce qu’il me faisait faire. Pourquoi ? Pourquoi m’avait-il donné ses ordres ? Pourquoi a-t-il voulu que je fasse ça et surtout… comment a-t-il pu imaginer tout ça ?
J’aimais Jacob mais il fallait que je me protège. Il fallait que plus jamais je ne fasse de mal a qui que ce soit.
_ Je crois que… Je crois que je veux bien que tu me sépare de Jacob… pour que je puisse jamais plus faire de mal. J’aurais si peur… Mais il ne faut pas que j’oublie tout ça… il ne faut pas que je les oublie, tous ces gens ils… certains n’avaient rien, pas de famille, d’ami, de proches… si je ne les oublie plus personne ne pensera à eux… Et puis ca fait partie de moi tout ça… Si je l’oubliais et que je laissais la haine et la méchanceté me dévorer… et si je recommençais en pensant que ce n’était rien… ? Non il ne faut pas que j’oublie mais s’il te plait, libère moi de Jacob comme tu me l'a proposé…

Oui, je devais vraiment être séparée de Jacob.
Oui je l’aimais beaucoup mais… et s’il ne me comprenait pas ? Et s’il ne me croyait pas et qu’il me donnait de nouveaux ordres ? Comment pourrais-je alors lutter…
C’était déjà un miracle que j’ai pu le faire avec Emy… Si ça recommençait ?
Je suis Monsieur Greg dans son atelier, séchant mes larmes au passage.
Arrivé dans la salle, Greg m’indiqua de m’installer sur une sorte de table d’opération et je pris mon temps pour m’exécuter.
Je commençais à m’inquiéter quelque peu. Et si quelque chose ne marchait pas ? Et si je… je disparaissais ? Je cessais de fonctionner… Et si… je ne me réveillais jamais…
J’avais peur mais j’écoutais attentivement ce que me disait le constructeur… et je réfléchissais.
Un système digestif ? Pouvoir… rêver ? Moi ?
Je sentais quelque chose en moi sauter en moi. Être humaine ? Moi ? Je pourrais ?
Est-ce que je… est ce que je devrais ?
Je repensais soudain à tout ce que j’avais fais eux humains et… non je ne pouvais pas. Je ne méritais pas d’être comme eux. Je ne méritais pas de leur ressembler c’était… injuste…
_ Je… oui je veux bien voir ce qui se passe et… je veux bien aussi de la musique mais je ne m‘y connais pas du tout… Et… n’est pas la peine pour le système digestif et pour le sang j’en ai déjà…
Je ne parlais pas des rêve… M’imaginer dormir… rêver… ça me faisais tellement… rêver justement ! J’ai du mal à refuser tout net mais… je ne peux pas faire ça, au nom de tous ces humains je… je ne peux pas.
Je prends une petite pose… pour me donner du courage avant de continuer.
_ Monsieur Greg est ce que… est ce que je risque… est ce que je risque de… mourir ?

Je fis un signe négatif de la tête lorsque Gregory me demanda si la musique ne me dérangeait pas. J’aimais la musique.
Je fermais quelques instants les yeux pour profiter du son explosant dans mes oreilles.
J’aurais voulu… J’aurais vraiment voulu me rapprocher de l’humanité. Pouvoir manger… rêver…
Mais je m’y refusais. Je trouvais son injuste envers tous ceux que j’avais tués. Tous ses humains… J’étais responsable… Me rapprocher de leur humanité c’était un manque de respect, un outrage à leur mémoire…
Et pourtant… il y avait bien quelque chose, un tout petit quelque chose, bien enfouis au fond de moi… Il me disait que je serais heureuse de ressembler autant à un humain. Que je serais heureuse surtout de découvrir ce que ça faisait de ressentir toutes ces choses. Une nouvelle aventure, de nouvelles découvertes !
Mais voilà, je ne pouvais pas me permettre de ressentir ça. Et je resterais moi-même. Une simple androïde seulement je ne serais plus attachée à Jacob. Ce qui me rassurais en même temps de m’attrister quelque peu.
Et surtout… j’avais peur. J’étais terrifiée à l’idée de… disparaitre.
Je fini par avouer cette peur à Gregory en lui posant la question.
Je le regardais s’approcher de moi puis je l’écoutais avec attention.
La machine qui me servait de cœur battais en l’écoutant essayer de me convaincre de le laisser avoir un estomac. Il battit encore plus fort lorsqu’il me fit me rappeler de la danse que nous avions partagée.
C’était si beau ! Si bien ! C’était quelque chose de tellement nouveau, de tellement fantastique, de tellement… indescriptible…
Je fermais de nouveau les yeux et imaginer découvrir cette nouvelle sensation. Un sourire s’afficha sur mon visage sans vraiment que je m’en rende compte.
_ C’était tellement bien…
Je rouvris les yeux, de nouveau sérieuse.
_ Mais Gregory, si je ne voulais pas ça, c’est parce que je… Je ne pense pas le mériter ! C’est tellement beau, tellement fantastique ! Pareil pour le rêve ! J’aimerais tellement vivre cette aventure ! Mais je ne le mérite pas… pas le rêve en tout cas.
Je soupire tristement avant de continuer en suivant.
_ Mais tu as raison pour le fait de manger, il faut que je me fonde dans la masse c’est important. Alors… Je veux bien… en avoir un… si tu veux bien.